Petit point d’étape sur le phénomène #MeToo dans le domaine qui nous concerne au premier chef : le cinéma.

Le tout puissant Harvey Weinstein, les bras dans le dos, menottes aux poignets, escorté par deux policiers, a dû se livrer à l’exercice très américain de la « perp walk » (« perpetrator walk »). Première étape symbolique d’un processus judiciaire qui donnera une résonance concrète aux revendications féministes. Arrêté et inculpé pour viol et agression sexuelle, sa comparution devant un juge devrait avoir lieu fin juillet. Un moment de soulagement pour les accusatrices du producteur, qui croyait, à juste titre, que son influence pouvait le protéger.

Mais qui de mieux qu’une des premières concernées pour s’assurer que le mouvement ne s’étiole pas et que ses effets sont pérennes ? Asia Argento a, dans une diatribe enflammée lors de la cérémonie de clôture du festival de Cannes 2018, pointé du doigt dans l’assistance ceux qui étaient passés entre les gouttes : « Vous savez qui vous êtes, et plus important encore, nous, nous savons qui vous êtes. Nous n’allons pas vous permettre de vivre dans l’impunité. » Certains doivent suer dans leurs caleçons…

Mais tout cela change aussi le regard du cinéphile. J’ai récemment rattrapé le visionnage de « Zootopie ». Le film semblait clair dans son message (largement délayé à la sauce bons sentiments Disney, mais présent quand même) : les petits herbivores femelles représentaient allégoriquement les femmes, les grands prédateurs (et aussi herbivores d’ailleurs) les hommes, et le film racontait grosso modo la lutte d’une jeune lapine (femme) pour s’imposer dans un milieu de grands animaux (d’hommes) : la police. La métaphore fonctionne bien, jusqu’à deux scènes problématiques (attention SPOILERS pour ceux qui ne l’ont pas vu). Lorsque le renard escroc avec lequel notre héroïne lapine va faire équipe se met à dévoiler ses terribles tourments d’être stigmatisé en tant que prédateur (Not All Men !), notre lapine, jusque-là modèle d’opiniâtreté et de résolution, va littéralement s’effondrer et se rouler à ses pieds dans des excuses tandis qu’il lui tapote paternellement la tête. WTF ? Et le dénouement montre que la grande méchante est une brebis maltraitée par son lion de patron, qui voulait prendre le dessus sur les prédateurs. Probablement rien de conscient chez les scénaristes mais à la fin le bilan est impitoyable : la lapine féministe s’excuse d’être là et se remet en question, la brebis est une caricature de féminazie qui ne veut pas l’égalité mais la suprématie, et aucun prédateur ou gros herbivore ne se sera remis en question à aucun moment. Visiblement il y a encore du boulot.

Yamine Guettari

cinema@daily-movies.ch


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